La passion du baseball à Cabano: plus de 100 ans d'histoire
Article par ALAIN DUMAS (Publié dans L'Estuaire, numéro 67, juin 2007)
Le joueur se lève tôt le matin, il saisit la balle qui est à côté de son lit, prend son gant qui a passé la nuit sous l'oreiller, enfile sa casquette et s'approche de la table pour le déjeuner. Il entend déjà les murmures de la foule et reconnaît la voix de sa mère qui lui dit: «dépêche-toi tu vas être en retard à l'école». En autobus, c'est comme quand on joue dans les ligues mineures, il faut bien se rendre au terrain. Dans la chambre des joueurs, il y a un entraîneur que l'on appelle «maîtresse d'école» et qui parle de français, de mathématique, etc., mais ce n'est pas de cela dont ce jeune raffole. Il a hâte à la récréation pour sauter sur le terrain. Car c'est là que ça se passe. C'est un coup sûr, un coup de deux buts, un coup de circuit, il est le Gary Carter de la classe. Le plus grand des Tim Raines de l'univers.
C'est un p'tit gars de Cabano qui rêve… Un parmi plusieurs qui ont hérité de façon génétique de l'amour d'un sport parmi les autres sports: le baseball. Cet héritage, reçu de l'arrière-grand-père, du grand-père, qui l'a passé au père et à son fils comme on passe une rondelle au hockey. Et le fils a lancé la balle vers son enfant qui a frappé son premier coup sûr. Il commence une vie dans des souliers modelés exprès pour lui, avec des crampons sous la semelle, un premier pas dans l'amour du baseball.
Que vous veniez de Cabano ou d'ailleurs, peut-être vous reconnaissez-vous dans ce jeune enfant dont le rêve de jouer au baseball a fait de vous une vedette. Nous n'avons pas tous été les vedettes espérées, mais la vie nous a permis de rêver. Nous avons tous entendu parler, vu et peut-être côtoyé des athlètes qui ont réussi plus que d'autres.
Les vedettes locales
À Cabano, entendre les noms de Victor Simon, «Pétaine» Lebel, qui ont joué dans l'ancien temps comme on dit, est un véritable récital dont le soliste est le virtuose de la balle, le lanceur Arthur Leblanc. Au temps de la crise économique des années 1930, cette équipe a remporté par le pointage de 2 à 0, une célèbre partie dont on a longtemps parlé et qui a eu lieu au séminaire de Rimouski le 17 septembre 1933. Il faut s'imaginer à l'époque ce que représentait un tel voyage. C'était un véritable pèlerinage qui s'est d'ailleurs terminé par un salut du Très Saint Sacrement officié par «notre digne curé», comme le rapporta le journal Le St-Laurent.
Cette histoire d'amour d'un village avec le baseball a commencé bien avant qu'il ne soit fondé (1906). Dans la région du Bas du Fleuve, à la fin du dix-neuvième siècle, la plupart des milieux où se construisaient des moulins à scie avaient un club de baseball: Sayabec, Lac-au-Saumon, Causapscal, Price, Rimouski, Rivière-du-Loup, pour ne nommer que ceux-là.
Le nom d'Aimé Lauzon est inscrit en lettres d’or dans l’histoire. Originaire de Montréal, il est le premier joueur payé pour jouer au baseball. Recruté par Yvon Dumas, il lancera pour l'équipe «les As» de Cabano qui gagnera le championnat régional en 1948 battant Trois-Pistoles dans un match décisif, à St-Jean-de-Dieu, par la marque de 8 à 3. Certaines fois, l'enthousiasme aidant, et d'autres fois le manque de ressources locales pour faire face à l'adversaire, les équipes ont dû trouver des ressources extérieures pour demeurer compétitives. On les qualifiait d'être des «joueurs importés».
Parfois une vedette locale dominait la situation. C'est ce qui se produisit à Cabano au début des années cinquante lorsqu’évolua une des plus célèbres équipes au cœur de laquelle il y avait le légendaire Zoone Lebrun. On a dit de lui qu'à l'arrêt-court il occupait tellement de terrain qu'il couvrait du troisième but au deuxième jusqu'au premier but. Il était élastique! Tout cela ne laissait pas beaucoup de place pour ses frères Renaud (dont on vantait le bras) au troisième et Pat au deuxième. Paul Lebrun était tellement habile que tout le monde en était ébloui. Comme on le dit dans tous les villages du Québec à propos de l'athlète de la place: «si y'avait passé un éclaireur par ici ou encore si on lui avait montré à jouer, y'aurait pu jouer dans les majeures».
Un passage remarqué même s'il ne dure qu'une seule saison, c'est celui de Ronnie Leblanc. Son receveur est aussi de la partie, Bob Fyfe. Tous les deux arrivent des Républicains d'Edmundston. À Cabano et dans tous les stades de la ligue, c'est la fièvre Leblanc. Les feuilles de pointage sont remplies de K: on parle de lui comme du roi incontesté des retraits au bâton. Il lance entre autres deux parties de 20 retraits au bâton dans des joutes de 7 manches et une partie de 21 retraits, mais cette fois en 9 manches. Les autres équipes du circuit vont chercher du renfort. Rivière-du-Loup recrute Jean-Guy Noël de Drummondville et Trois-Pistoles, Pat Simard d'Arvida. Quelques-uns de ces joueurs avaient participé à des camps d’entraînement pour des équipes professionnelles.
La série finale de cette année 1962 contre Trois-Pistoles, dirigé par le coloré Théo D'Amour, se rendit à la limite de 7 parties et Cabano l'emporta. Leblanc remporta les 4 parties victorieuses du Cabano dont 3 par blanchissage 4 à 0, 1 à 0 et 7 à 0 dans le dernier match. Le point de la partie de 1 à 0 consista en un coup de circuit frappé par Leblanc lui-même. En finale, il réussit plus de soixante retraits au bâton.
Les «As» de Cabano deviennent les «Braves».
À partir de 1964, année où l'équipe adopte le nom des «Braves», commence une nouvelle époque. Avec l'arrivée de Red Ouellet à titre d'instructeur, cette équipe ne sera plus la même. Six championnats en saison régulière d'affilée. Red Ouellet était originaire de Grand-Sault au Nouveau-Brunswick et avait évolué pour les Bruins de Boston dans la LNH au début des années soixante.
L'année 1966 s'appelle Valmont McClure. Il remporte la triple couronne avec une moyenne de .475, 5 coups de circuit, 41 points produits. De plus, il est le meilleur lanceur de la ligue avec une fiche de 9 victoires 1 défaite.
Le costaud gaucher, Jacques Lavoie, aura des fiches de 7 victoires, aucune défaite en 1967 et de 9 victoires, aucune défaite en 1968. Cela signifie au moins 16 victoires d'affilée.
Quant à Red Ouellet, il est sans contredit l'instructeur de la décennie et il ajoute à ses lauriers deux championnats des frappeurs en 1968 et 1969 avec des moyennes de .481 et .484. Déjà, il avait remporté le championnat des frappeurs en 1963 avec une moyenne de .439 avant de devenir l'instructeur.
En 1970, arrive la grande noirceur. Il se passera 16 ans, 7 mois, 18 jours avant que les Braves adhèrent de façon sérieuse à un circuit senior. Le 18 mai 1986, Cabano joue sa première partie dans la ligue senior du Bas-Laurent à Trois-Pistoles.
En 1988, malgré l'engagement de deux importés, c'est un joueur local qui volera la vedette. Réjean Plourde, «l'homme au bras de caoutchouc», terminera avec une fiche de 11 victoires (dont une partie sans point ni coup sûr) et un seul revers. Phénoménal, il montre un dossier de 0.64 point mérité par partie. Autrement dit, les équipes qui l'affrontaient devaient pratiquement jouer deux joutes pour réussir un seul point.
1989 est une année importante dans les annales du baseball de la ville de Cabano: du 27 au 30 juillet, Cabano devient la capitale québécoise du baseball senior en accueillant le championnat provincial. Il y aura récidive en 1993.
Le chapitre suivant de l'histoire s'intitule Jean-Robert Côté, «J R» comme on l'appelle familièrement du nom d'un personnage d'une populaire série télévisée américaine. Les Braves vont compléter le triplé en série finale en défaisant Matane en 1989 et Rivière-du-Loup en 1990 et 1991. Cette dernière série revêt un caractère particulier: dans les milieux journalistiques, on parle de la «série de la route 185». Pas moins de 6 000 spectateurs assistent aux 6 matchs. Cabano l'emporte 4 parties à 2. Toutes les joutes sont radiodiffusées sur les ondes de CJFP Rivière-du-Loup et CFVD ville Dégelis. Les paris sont ouverts et la mairesse de Cabano gagne le sien, madame Griffin verra le drapeau de sa ville flotter sur le toit de l'hôtel de ville de Rivière-du-Loup du maire Marquis.
1993. Le rendement d'un Benoît Bélanger est étincelant avec, en 22 matchs, 32 points produits, 7 coups de circuit, et une moyenne de .470 au bâton. Les Braves terminent au premier rang et gagnent les séries contre Matane.
L'apothéose de cette belle histoire arrive en 1995. Les Braves l'emportent 4 parties à 0 en finale contre Rimouski et sont nommés équipe senior de l'année au Québec: Denis Bouchard est sacré instructeur de l'année au niveau majeur.
Le virage du millénaire a eu lieu et les Braves ont su le prendre en gardant le panache de la fierté de 100 ans de baseball. La tête de l'indien demeurant l'emblème qui continue vers un autre siècle.
Pour célébrer le centenaire de sa fondation (1906) et de plus de cent années de baseball dans ses murs (1904), Cabano voit un de ses joueurs, Francis Pelletier, remporter la triple couronne (.519 de moyenne au bâton, 5 circuits, 20 points produits dans une saison de 18 parties) mais l'équipe s'avoue vaincue en finale en 7 parties contre Trois-Pistoles.
De l'arrivée de la Compagnie Fraser en 1899, en passant par le collège dirigé par les frères du Sacré-Cœur à partir de 1925 et en continuant au fil du temps avec le baseball des «p'tits délinquants dans la rue», le terrain de jeux (OTJ) et l'organisation du baseball mineur des années plus récentes, il est plausible d'évaluer à près de 20 000 gars (sans oublier plusieurs filles) qui ont joué au baseball dans ce village qui a tissé ce sport dans le Bas du Fleuve.
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